Mixité et égalité professionnelle, les bonnes intentions ne suffisent pas !
A la veille de la journée internationale des femmes, la CFDT a organisé une journée de débats intitulée "la mixité, on a tous à y gagner". Les participants ont échangé sur la nécessité de lutter contre les stéréotypes de genre et la manière de rendre effectives les mesures qui permettent aux femmes d'être reconnues, au même titre que les hommes, dans toutes les sphères de la société.
« Les femmes auraient une tendance naturelle à la bienveillance et au sacrifice. Ca n’aide pas beaucoup pour faire une carrière professionnelle ! » Ce n’est pas sans humour que la psychanalyste Sophie Cadalen s’est prêtée à l’exercice de déconstruction des stéréotypes de genre lors du rassemblement organisé par la CFDT le 7 mars 2013. La veille de la journée internationale des femmes, la Confédération a convié 200 militant(e)s à participer à des débats portant sur la place des femmes, non seulement au travail, mais aussi au sein de la CFDT en tant que responsables syndicales. Sophie Cadalen, ainsi que la chercheuse en sciences politiques Réjane Sénac et le DRH de Bayer HealthCare, Luc Derache, ont ouvert les discussions sur la persistance des stéréotypes. Des archétypes que nous véhiculons tous bon gré mal gré et qui contribuent à ce que les femmes ne soient pas reconnues au même titre que les hommes dans de nombreuses sphères de la société. Ancrées dès le plus jeune âge, ces représentations peuvent évoluer grâce à l’éducation. C’est ce que le gouvernement entend expérimenter avec le programme « ABCD de l’égalité » qui sera lancé à la rentrée 2013 dans dix académies auprès d’élèves en dernière section de maternelle jusqu’à la fin du primaire, avant d’être généralisé à la rentrée 2014.
"on a tendance à justifier la présence des femmes dans les sphères du pouvoir pour les mêmes raisons qu’on les en a exclues", Réjane Sénac, politiste
De bonnes intentions pavées de différenciation
Quoi qu’en dise le fameux best-seller, les hommes ne viennent pas de Mars, pas plus que les femmes ne viennent de Vénus ! Prenant le contre-pied du livre de John Gray, Sophie Cadalen s’est appuyée sur un exemple : « tous les hommes ne souhaitent pas être conformes à « l’obligation » d’être ambitieux. Nous sommes tous des exceptions à ces stéréotypes ». La politiste Réjane Sénac a souligné combien ces mythes avaient abouti à l’édification d’une République non mixte. Et aujourd’hui, « on a tendance à justifier la présence des femmes dans les sphères du pouvoir pour les mêmes raisons qu’on les en a exclues, a mis en garde la chercheuse. On met en avant comme facteur de performance leur genre, leur différence, au lieu de prendre pour base le principe d’égalité. »
L’argument de la performance est pourtant revendiqué par le DRH de Bayer HealthCare, Luc Derache. « Il est au cœur de nos accords spécifiques sur l’égalité hommes/femmes ou sur la diversité », a-t-il expliqué, donnant l’exemple dans son entreprise de « jeunes salariées d’origine maghrébine qui s’investissent davantage dans leur travail et qui ont beaucoup plus le souci de réussir que d’autres qui sortent des grandes écoles. C’est un stéréotype, mais cette réalité permet de changer la structure de l’entreprise et d’en augmenter la performance. » L’accord signé en 2009 par les partenaires sociaux au sein de Bayer HealthCare contient en grande partie des mesures pour faciliter la conciliation entre vie professionnelle et vie privée : pas de réunion après 17 heures, prise en charge des frais de garde d’enfants lors de déplacements professionnels, rémunération à 100% du congé paternité au-delà du plafond de la Sécurité sociale, etc.
Mais beaucoup d’accords sur l’égalité professionnelle entre femmes et hommes sont en deçà de la loi. Dans la Fonction publique où un accord sur l’égalité professionnelle vient d’être signé, on constate aussi des reculs par rapport à la loi puisque le pourcentage de femmes au sein des jurys de concours est retombé à 25% alors que la loi exige au minimum un taux de 40 %, comme l’a rappelé Brigitte Jumel, secrétaire générale de l'Union des Fédérations CFDT des fonctions publiques et assimilés (Uffa-CFDT).
Fini les paroles, place aux actes !
« Le
cadre juridique est relativement complet. Une dizaine de lois ont été
votées en l’espace de quarante ans. Elles sont de plus en plus
précises, mais pour autant les outils ne sont pas mis en place, a fait remarquer la ministre des Droits des femmes, Najat Vallaud-Belkacem. A
peine 50 % des entreprises ont réalisé le rapport de situation
comparée, par exemple. Nous avons établi un décret en décembre 2012 pour
que les contrôles soient plus systématiques. Désormais les entreprises
d’au moins 50 salariés doivent envoyer aux Direccte leurs accords et
plans d’action relatifs à l’égalité professionnelle. Un bilan sera
réalisé au second semestre 2013 et les sanctions seront mises en œuvre à
partir de la fin de l’année. »
grâce
à l’accord sur la sécurisation de l’emploi, les temps partiels subis,
qui touchent à 80 % des femmes, ne pourront plus être inférieurs à 24
heures hebdomadaires.
Laurent
Berger a cependant déploré que ce pouvoir de sanction soit
insuffisant, faute de moyens dévolus à l’Inspection du Travail. Mais le
secrétaire général a aussi souligné que le dialogue social apportait
des résultats, présentant la négociation sur la sécurisation de
l’emploi et celle qui vient de débuter sur la qualité de vie au travail
et l’égalité professionnelle, comme étant « les deux faces d’une même pièce de monnaie. » Ainsi,
grâce à l’accord national interprofessionnel sur la sécurisation de
l’emploi, les temps partiels subis, qui touchent à 80 % des femmes, ne
pourront plus être inférieurs à 24 heures hebdomadaires. Cet accord met
en place une base de données socio-économiques sur les entreprises
accessibles à toutes les instances représentatives du personnel. « Cette
base favorisera l’approche intégrée des sujets de négociation et
évitera ainsi que l’égalité professionnelle ne soit traitée de manière
annexe. Elle favorisera par exemple la prise en compte de l’égalité
salariale dans la négociation annuelle obligatoire », a précisé
Laurent Berger. Une des grandes avancées que pourra apporter la
négociation en cours sur la qualité de vie au travail et l’égalité
professionnelle sera d’inscrire l’organisation du travail comme sujet de
négociation. Mais il faudra pour cela que le patronat accepte de
s’engager sur ce sujet déterminant pour la place des femmes au travail.
La mixité au sein de la CFDT
Les
sanctions financières mais aussi les quotas pour permettre aux femmes
d’accéder aux postes à responsabilité : seules les contraintes
permettent-elles d’avancer, plutôt que le volontarisme ? Y compris au
sein de la CFDT, des reculs ont suivi les progrès réalisés pour que les
femmes soient représentées à tous les niveaux de l’organisation, a
constaté Marie-Andrée Seguin, secrétaire nationale en charge de
l’égalité professionnelle. Ainsi la proportion des femmes en
responsabilité a été réduite d’un tiers par rapport à 2008. La
secrétaire nationale a présenté les grands axes du plan Mixité lancé fin
2012 par la Confédération. Il vise notamment à sensibiliser à tous les
stéréotypes de genre et à prêter attention à la communication, en
présentant par exemple les responsabilités syndicales de la façon la
plus neutre possible mais aussi de manière précise. « Les femmes, comme les jeunes, souhaitent prendre des responsabilités en connaissance de cause », a rappelé Sophie Mandelbaum, déléguée Femmes à la Confédération, ajoutant : « il leur sera plus facile de s’engager si on leur indique qu’un tuteur formé les accompagnera ».
Apportant
son témoignage, Valérie Chaussepied, membre du bureau du syndicat
Interco 35, a souligné combien le parcours syndical des femmes pouvait
être difficile : « Quand on arrive, on souhaite partager mais on est
confrontée à des jeux de pouvoir, cela n’est pas facile de prendre la
parole. Ceux qui sont à des postes clés dans l’organisation ont des
stratégies d’action et il faut du temps pour les décrypter. Cela peut
être décourageant si on n’a pas de clés de lecture. »
Le
plan mixité de la CFDT repose en partie sur les recommandations de la
Confédération européenne des syndicats, qui elle-même a longtemps été
très masculine, comme l’a rappelé Viviane Goergen. « Mais attention à ne pas se focaliser sur les femmes à la tête de Confédération. Cela n’empêche pas qu’il y ait des reculs, a alerté l’ancienne présidente du Comité femmes de la CES.».
Les quotas même s’ils font toujours débat, la formation, les règles
démocratiques de prise de parole, la régulation des propos et
comportements sexistes, etc. : de nombreux outils doivent être
développés ensemble car un seul d’entre eux ne peut favoriser une
évolution réelle vers la mixité, a précisé Sophie Mandelbaum. Pour
conclure les débats, les membres de la Commission confédérale femmes ont
insisté sur la nécessité d’une volonté politique forte de la part des
secrétaires généraux et des militants pour produire des résultats.
Une belle exposition
La
journée s’est terminée avec le vernissage de l’exposition « On ne naît
pas femme, on le devient » de la photographe Marie-Hélène Le Ny. Ses
portraits de femmes connues ou non et de militant(e)s, complétés par
leurs témoignages sonores ou en texte, nous interrogent tous sur ce qui
fait notre identité. Une exposition à ne pas manquer, jusqu’au 22 mars à
la Confédération !
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